Construire des Communautés Participantes (de Collaboration)

Par Scott London
(Traduit par Jean-Pierre Bélanger)

La collaboration civique est un processus de prise de décision partagée par lequel tous les acteurs qui sont concernés par un problème explorent de façon constructive leurs différences et développent une stratégie d'action commune. L'éthique de la collaboration est fondée sur la croyance que le jeu politique n'est pas nécessairement à somme nulle où l'une des parties gagne et l'autre perd, ou encore où les deux parties règlent par un compromis. Si les bonnes personnes sont rassemblées au bon moment à la bonne place, de façon constructive et avec l'information appropriée, elles peuvent non seulement créer des visions et des stratégies authentiques pour régler leurs problèmes communs mais aussi, dans plusieurs cas, dépasser leurs perspectives limitées de ce qui est possible.

Collaboration
Collaboration and Community
By Scott London

Pendant une période de frustration répandue avec la politique au jour-le-jour ("politics as usual"), où la confrontation, la hiérarchie, et l'exclusion caractérisent les moyens que nous utilisons en premier lieu pour régler nos problèmes, les principes de collaboration sont maintenant perçus par plusieurs organisations, communautés et leaders civiques comme des moyens plus efficaces de travailler pour le changement que de former des coalitions, des task forces, des commissions, des groupes d'intérêt et d'autres moyens plus traditionnels de partenariats.

Pendant que le terme de collaboration (et ses différents dérivés - leadership collaborateur ("collaborative leadership"), alliances communautaires, processus participatifs de résolution de problèmes, etc.) est souvent brandi aujourd'hui comme une réponse à la politique au jour-le-jour, il n'y a eu étonnamment que peu de recherche de fond sur le sujet. Comme deux universitaires de l'Université du Wisconsin-Madison l'ont récemment souligné, "malgré l'attrait de l'idée, la plupart de la littérature demeure du genre promotionnel (advocacy). Peu de recherche et d'évaluations sont disponibles et peu d'exemples de succès de collaborations multi-agences à grande échelle ont été identifiés."

Malgré la pauvreté de la recherche formelle sur la collaboration toutefois, il y a une littérature croissante sur le sujet. Ce texte analyse quelques unes des principales sources en vue de mieux comprendre: qu'est-ce que la collaboration? Comment diffère-t-elle des autres modèles de coopération? Quels sont les prérequis et les dynamiques d'une véritable collaboration? Qu'est-ce qui fait un leader de collaboration efficace? Quels sont les obstacles à la collaboration efficace? Et comment pouvons-nous créer des communautés davantage collaboratrices.

Qu'est-ce que la collaboration?

Comme ses racines latines (com et laborare) l'indiquent, la collaboration, réduite à sa plus simple expression, signifie "travailler avec". La recherche d'une définition plus élaborée mène à une myriade de possibilités, chacune ayant quelque chose à offrir mais aucune n'étant complètement satisfaisante en elle-même. Cela va d'une définition académique formelle ("un processus de prise de décision commune par les personnes et les groupes clés qui sont concernés par un problème donné dans un domaine au sujet du futur de ce domaine") à d'autres plus ésotériques ("un processus interactif ayant un objectif transmutationnel partagé"). La définition la plus robuste et la plus souvent citée est celle de Barbara Gray ("Collaborer: trouver un terrain commun pour des problèmes aux acteurs multiples" [trad. Libre]). Elle décrit la collaboration comme un "processus à travers lequel des parties qui voit chacune des aspects différents d'un problème peut explorer de façon constructive leurs différences et chercher des solutions qui vont au-delà de leur propre vision limitée de ce qui est possible". Dans Collaborative Leadership, David Chrislip et Carl Larson offre une définition quelque peu différente mais utile: "C'est une relation mutuellement bénéficiaire entre deux ou plusieurs parties qui travaillent vers des buts communs en partageant les responsabilités, l'autorité, et la nécessité de rendre des comptes pour l'atteinte des résultats".

La collaboration s'adresse à un large éventail de personnes qui couvrent l'éventail du spectre politique, non pas parce qu'elle offre tout à tout le monde (comme une certaine littérature favorable à la collaboration le laisse entendre) mais parce qu'elle s'intéresse à un processus, ce qui est tout à fait distinct d'un programme, d'un agenda ou du contenu d'un résultat. L'examen de la collaboration nous amène à regarder le processus même par lequel nous arrivons à des choix politiques, quels que soient ces choix.

Le recours à la collaboration peut être approprié dans une variété de circonstances, à partir de la résolution d'une dispute de voisinage ou sur un sujet environnemental, à la revitalisation économique d'une communauté délabrée, à la résolution de conflits entre communautés, à des projets communs (joint ventures) entre entreprises, à la promotion d'une plus grande participation civique et d'un engagement plus poussé envers le bien-être d'une communauté. Les essais de collaboration partagent généralement un certain nombre de caractéristiques de base:

  • Les problèmes sont mal définis, ou il n'y a pas accord sur la façon dont ils doivent être définis.
  • Plusieurs acteurs concernés ont des intérêts propres dans les problèmes et sont interdépendants.
  • Ces acteurs concernés ne sont pas nécessairement identifiés a priori ni organisés de façon systématique.
  • Il peut y avoir disparité de pouvoir et/ou de ressources pour faire face aux problèmes entre les acteurs concernés.
  • Les acteurs concernés peuvent avoir niveaux d'expertise et un accès différent à l'information sur les problèmes.
  • Les problèmes sont souvent caractérisés par la complexité technique et l'incertitude scientifique.
  • Des perspectivres différentes sur les problèmes mènent souvent les acteurs concernés à s'affronter dans leurs relations.
  • Des niveaux d'efforts différents ou des efforts unilatéraux pour faire face aux problèmes ne produisent pas des solutions complètement satisfaisantes.
  • Les processus existants pour régler les problèmes ont fait la preuve de leur inefficacité.

Les essais de collaboration peuvent prendre des formes multiples. Les plus connus incluent: les partenariats public-privé, aussi connus comme des partenariats sociaux -- des alliances ad hoc entre des organisations qui seraient autrement indépendantes les unes des autres; les commissions du futur, aussi connues comme des groupes de recherche, au sein desquelles des citoyens et des leaders de la communauté analysent les tendances, développent des scénario alternatifs du futur, et élaborent des recommandations et des buts pour la communauté; des collaborations inter-agences qui visent à améliorer, par exemple, les services sociaux aux enfants, aux familles et aux autres membres de la communauté; des réseaux électroniques destinés à mettre en lien diverses institutions de la société civile, du secteur de l'éducation, des affaires et du gouvernement dans une communauté ou une région par des réseaux d'ordinateurs; des partenariats école-communauté destinés à développer la collaboration entre les écoles secondaires et des institutions clés de la communauté; des réseaux et des alliances -- des alliances peu structurées entre groupes, organisations et citoyens qui partagent un intérêt commun pour un sujet particulier ou un site géographique donné; et des collaborations régionales où des gouvernements locaux travaillent ensemble à la promotion économique ou à l'amélioration de la dispensation des services.

La collaboration se produit dans plusieurs sphères de l'activité humaine, bien sur, et n'est pas limitée aux affaires de la société civile. Même si le présent texte porte sur la collaboration civique, il faut noter que beaucoup de choses ont été écrites sur la collaboration dans les domaines de la théorie organisationnelle et du management, de la micro-économie, de la linguistique, de l'épistémologie, de la théorie de la démocratie et particulièrement dans le champ de l'éducation.

La collaboration versus les autres modèles de coopération

On peut regrouper les partenariats de collaboration sous deux têtes de chapitre: ceux qui visent à la résolution de conflits et ceux qui visent à développer et à faire la promotion de visions partagées du futur. Dans les deux cas, le processus est centré d'abord sur une définition adéquate, et si besoin est, une redéfinition du problème avant de passer aux solutions. Comme David Mathews l'écrit, " Nous ne pouvons pas commencer à nous entendre sur ce que nous devons faire avant d'avoir une définition commune du problème, une qui reflète une compréhension de nos propres intérêts, de l'intérêt des autres, et comment les deux convergent ou divergent".

La collaboration, alors, implique l'articulation d'un objet commun, d'une direction partagée et de travailler à arriver à une décision conjointe. Cela la différencie des autres formes de coopération qui peuvent impliquer des intérêts communs mais qui ne sont pas nécessairement basés sur un objectif ou une vision articulée collectivement.

Ann Austin and Roger Baldwin qu'en même temps qu'il y a des similarités certaines entre coopération et collaboration, le premier implique des intérêts pré-établis alors que le second implique des objectifs définis collectivement. Melaville et Blank adoptent un point de vue similaire. Dans le contexte de collaboration inter-agences, ils suggèrent "qu'une stratégie de collaboration est indiquée à lorsquele besoin et l'intention est de changer de facon fondamentale la manière dont les services sont organisés et distribués". Par contraste, la coopération implique seulement la coordination de services existants.

Se rassembler afin de travailler à des buts communs n'est pas une chose nouvelle en politique. La littérature est pleine d'exemples de groupes importants dans la communauté -- groupes religieux, syndicats, groupes ethniques ou civiques, petites entreprises, organisations politiques -- ont mis sur pied des entreprises de coopération, des groupes d'intérêt touchant la communauté, des groupes de travail de voisinage et des coalitions civiques. Ce qui distingue souvent ces groupes de véritables alliances de collaboration toutefois, c'est qu'ils sont souvent perçus comme les moyens les plus efficaces de faire avancer un agenda politique pré-déterminé. Dans son livre CommonWealth, Harry Boyte décrit ces formes de groupes communautaires comme des réponses populistes aux structures de pouvoir déjà bien implantées. "A travers la confrontation ou d'autres moyens", écrit-il, ces groupes d'advocacy ou d'organisations populaires défient souvent des cibles spécifiques et visibles dans la structure locale du pouvoir afin qu'elle produise des résultats concrets et tangibles. Comme le souligne Robert Zdenek, président d'une association de quartier de Chicago: "Si vous faites de l'advocacy, c'est plus confrontant, plus strident. Si vous faites du développement, c'est davantage collaborateur".

David Mathews souligne que, parce que des formes plus traditionnelles d'organisations des citoyens comme les coalitions, les groupes de défense des intérêts, et les comités consultatifs dominent tellement nos expériences, nous sommes incapables souvent d'imaginer d'autres formes d'organisations civiques possibles. Mais, dit-il, il y a un nombre croissant d'organismes communautaires à travers le pays aujourd'hui qui sont davantage centrées sur le fait de faire avancer un agenda public que de faire avancer une cause spécifique, qui sont davantage basées sur le rassemblement que sur la représentation d'intérêts spécifiques, qui mettent l'emphase sur l'empowerment des citoyens plutôt que sur la manipulation des structures de pouvoir existantes, qui sont davantage centrées sur la construction de relations nouvelles plutôt que de "gagner" ou de faire changer de côté la structure de pouvoir dans une communauté. Ce qui distingue ces associations, selon Mathews, "c'est la notion que la politique a plus à faire à établir des connections parmi une variété de problèmes qu'avec certains problèmes particuliers seulement. Les associations de cette nature ont une perspective large et complète; elles voient leur travail comme devant se continuer dans le long terme".

Les principes de la collaboration

Quelles sont les conditions préalables à une collaboration efficace? La plupart des observateurs s'entendent sur le fait qu'elle doit être démocratique et inclusive; c'est-à-dire qu'elle doit être libre de toute hiérarchie de quelque sorte et qu'elle doit inclure toutes les parties qui sont concernées par le problème. Comme Cornélia Butler Flora et al. L'ont souligné, " sans empowerment de la communauté et sans une large participation dans la définition de l'agenda, à le processus de prise de décision, les débats, et les compromis sont relativement sans signification".

L'argument contre les hiérarchies est le mieux résumé par David Osborne et Ted Gaebler qui écrivent que les associations trop centralisées et hiérarchisées tendent à se subdiviser en plusieurs boites et paliers. "Les gens commencent alors à s'identifier davantage à leur unité - leur coin de jardin, soit leur boite ou leur pallier. Dans les hiérarchies, la communication entre les paliers et les boites devient plus difficile".

Pour être efficace, la collaboration doit aussi être basée sur l'engagement et la participation de leaders importants de la communauté tels que maires, conseillers municipaux, dirigeants d'entreprises et autres semblables. Dans leur analyse de ce qui a fait le succès de six expériences, Chrislip et Larson soulignent que le support de leaders crédibles de haut niveau "a apporté une crédibilité aux efforts et constituait un aspect essentiel du succès de l'entreprise".

Il y a consensus à l'effet que la collaboration doit inclure le plus possible pour être légitime. Robert Theobald, par exemple, écrit que "tous les leaders de la communauté" doivent être impliqués, "que ces leaders correspondent ou non aux définitions traditionnelles de leader". Crislip et Larson sont d'accord, soulignant que les expériences réussies de collaboration qu'ils ont étudiées "incluaient plusieurs participants de différents secteurs - par exemple, du gouvernement, du secteur des affaires, et des groupes communautaires - par opposition à quelques participants provenant de façon majoritaire d'un seul secteur". Le niveau de participation requis, toutefois, est fonction en partie du type de collaboration recherché. Clairement, certaines formes de collaboration - telles que les partenariats inter-agences -- requièrent que seuls les personnes directement concernées soient impliquées.

Barbara Gray observe que la collaboration n'est significative que si les personnes concernées sont interdépendantes. "La collaboration établit une forme de partage et d'échange (give and take) entre les personnes concernées de telle sorte que cela produit des solutions qu'aucune d'elles n'aurait pu élaborer en travaillant de façon isolée et indépendante". De cette façon, elles dépendent toutes les unes des autres pour produire des solutions mutuellement bénéfiques. Il est aussi nécessaire que les parties forment une communauté temporaire en vue prévenir que les discussions ne dégénèrent en de simples sessions d'échange d'informations.

Plusieurs autres points doivent aussi être considérés avant d'embarquer dans une aventure de collaboration:

  • Quelles sont les relations structurelles entre les parties et les problèmes éventuels de pouvoir qui sont inhérents à un processus de collaboration?
  • Est-ce que tous ont une compréhension claire des objectifs respectifs des autres participants?
  • Quelle forme de leadership est requise pour faciliter le processus?
  • Est-ce que le projet a une forme ou l'autre de structure d'intégration, telle qu'un éventail inter-secteur de comités d'organisation, afin de faciliter et de mieux coordonner la prise de décision et sa mise en pratique?
  • Est-ce que le projet serait plus efficace avec un médiateur neutre ou tiers?
  • Est-ce que les media doivent être impliqués?
  • Est-ce que le projet a suffisamment de temps, d'argent et de support en ressources humaines?

La dynamique de la collaboration

Le processus de collaboration est rarement simple et direct. Il passe habituellement par plusieurs phases, commençant par une analyse de la situation et un diagnostic sur les problèmes les pus importants à résoudre, se poursuivant par une définition de la mission fondamentale ou du résultat désiré, une vision partagée, une stratégie pour actualiser cette vision et les buts visés, un échéancier pour la réalisation de la stratégie, et se terminant finalement par la mesure et l'évaluation des résultats.

Barbara Gray décrit cela comme un processus en trois phases. La première phase, qu'elle appelle la phase de pré-négociation ou d'établissement des problèmes, est souvent la plus difficile. Six aspects doivent être analysés à ce moment: 1) les parties doivent en arriver à une définition partagée du problème, incluant comment cela se relie à l'interdépendance des différentes parties concernées; 2) les parties doivent s'engager à collaborer; 3) les autres parties concernées qui devront être éventuellement impliquées pour le succès de l'entreprise doivent être identifiées; 4) les parties doivent reconnaitre et accepter la légitimité des autres participants; 5) les parties doivent décider quel type de meneur ou de leader peut amener les parties ensemble; et 6) les parties doivent déterminer quelles ressources sont nécessaires pour que le processus s'enclenche.

Au cours de la seconde phase, les parties identifient les intérêts qui les amène chacun autour dela table, déterminent de quelle façon ils diffèrent les uns des autres, établissent des directions et établissent des buts partagés. Gray appelle cette période celle de l'établissement de la direction. Elle se caractérise par six étapes essentielles: 1) l'établissement de règles de fonctionnement concrètes; 2) l'établissement de l'agenda; 3) l'organisation des sous-groupes ("surtout si le nombre de problèmes à discuter est grand et si le nombre de personnes concernées excède le nombre limite de 12 à 15 nécessaire pour un fonctionnement de groupe efficace"); 4) entreprendre une recherche d'information conjointe afin d'établir et de concentrer les efforts sur les faits essentiels des problèmes concernés; 5) explorer les pour et les contre des différentes alternatives; et 6) établir une entente et un accord sur le déroulement de l'action.

L'étape finale du processus de collaboration est la phase de mise en oeuvre au cours de laquelle 1) les groupes et les organisations participantes négocient avec leurs institutions ou leurs mandants; 2) les parties cherchent le support nécessaire pour ceux qui seront chargés de mettre l'entente en pratique; 3) les structures nécessaires à la mise en oeuvre sont misesen place; et finalement 4) l'entente est suivie (monitorée) l'adhésion est assurée.

Les aventures de collaboration peuvent varier beaucoup et toutes ne peuvent pas ou ne veulent pas suivre un tel cadre général. Beaucoup dépend de la nature de l'entreprise, du nombre de personnes ou de parties impliquées, de la période de temps dévolue et des ressources disponibles.

Il y a différentes opinions sur le rôle que le consensus joue dans le processus de collaboration. Quelques-uns sont d'avis que ce n'est pas nécessairement un processus qui mène nécessairement à une entente sur toutes les questions. Plutôt, comme quelqu'un le rapporte, une "culture de collaboration" évolue au cours d'un projet au cours duquel les participants en viennent à accepter leurs différences et "doivent redéfinir constamment les termes de leur entente en vue de refléter leur compréhension croissante de leurs intérêts mutuels et de leurs buts". Barbara Gray reconnaït que toutes les collaborations ne mènent pas nécessairement au consensus, mais elle ajoute que les accords sur les actions à mener sont, eux, toujours basés sur un consensus." Le consensus est atteint lorsque chacune des parties concernées est d'accord sur le fait qu'il peut vivre avec la solution proposée, même si ce n'était pas leur solution préférée au point de départ.

Le leadership de collaboration

Robert Theobald a suggéré "qu'une compréhension adéquate des réseaux et des liens doit être située dans le contexte d'un changement des structures d'autorité". Ce qui veut dire que l'intérêt croissant dans la collaboration doit être vu comme une transition inégale qui s'éloigne des structures de pouvoir verticales ("top-down structures") et se dirige vers de nouvelles façons de coordonner les activités et de prendreles décisions. Dans ce contexte, les qualités traditionnelles de leadership comme le pouvoir, le charisme, la capacité de persuader, l'habileté à prendre des actions unilatérales, etc., peuvent ne pas être appropriées mais plutôt nuire au processus de collaboration.

La collaboration est un processus par lequel le groupe comme entité doit être autonome dans lequel tousleas participants sont représentés également dans la prise de décision commune. Un leader efficace doit guider et coordonner ce processus de prise de décision. "Le pouvoir de la position occupée n'est guère utile dans un univers de pairs, ni les modèles de leadership traditionnels, hiérarchiques, politiques et de confrontation. Ceux qui dirigent les efforts de collaboration ont à la fois recours à une nouvelle vision du leadership et de nouvelles habiletés et comportements pour aider les communautés et les organisations à réaliser leurs visions, résoudre leurs problèmes et obtenir des résultats" (Chrislip et Larson).

Cette nouvelle forme de leadership a été définie de façon diverse comme étant malléable, facilitatrice ou "au service de". Dans son travail sur le sujet, James MacGregor Burns décrit le processus de transformation du leadership étant un par lequel "une ou plusieurs personnes s'engagent ensemble d'une façon telle que les leaders et ceux qui les suivent s'élèvent mutuellement à de plus hauts niveaux de motivation et de moralité". La clé d'un tel leadership, ajoute-t-il, réside dans la découverte des objectifs partagés et de l'interaction entre les motifs et les valeurs. James Svara, dans son livre Facilitative Leadership in Local Government, observe que les leaders de collaboration mettent l'accent sur la communication empathique, pensent en termes de "gagnant-gagnant" plutôt que de toujours voir leurs intérêts comme étant en conflit avec ceux des autres, et utilisent la capacité de synergie pour faire en sorte que le total soit plus grand que la somme des parties. Robert Theobald illustre le leadership "au service de" par une citation de Lao Tseu: "Quand les chefs mènent comme il se doit, les gens ont l'impression de l'avoir fait par eux-mêmes".

Quelques-unes des qualités du leadership de collaboration sont résumées par Richard Wellins et ses collègues dans leur livre, Empowered Teams:

  • La capacité d'apprendre
  • La capacité de planifier des activités
  • La communication (orale et écrite)
  • La délégation d'autorité et de responsabilité
  • Un talent en développement organisationnel
  • Capacité d'assurer le suivi
  • L'identification des problèmes
  • Un leadership individuel (influence)
  • Capacité d'assurer la circulation de la l'information et son suivi
  • Capacité d'initiative
  • Jugement
  • La capacité de maximiser la performance
  • La motivation de rendre les autres plus puissants (empowering others)
  • Capacité de planification stratégique
  • Facilité à faire rapport

Dans son oeuvre classique Group Leadership and Democratic Action (1951), Franklyn Haiman analyse un certain nombre de principes fondamentaux qui sont à la base du leadership de collaboration. Il note, par exemple, que les seules circonstances que les gens comprennent pleinement sont celles donÆt ils ont déjà fait l'expérience eux-mêmes, et que les seules idées qu'ils comprennent pleinement sont celles auxquelles ils ont participé à formuler. Par extension, les décisions qui sont le produit des efforts mêmes d'un groupe entraïnent une adhésion et un support plus solide et durable que les édits d'une seule personne ou d'un petit nombre restreint. De plus, le leadership de collaboration compose un groupe qui ne se désagrégera pas si quelque chose arrive au leader. Haiman affirme aussi , et ce point mérite d'être souligné, "qu'il n'y a pas de vertu particulière à la solidarité d'un groupe si cette unité n'a pas été atteinte à travers la diversité et qu'elle est constamment soumise aux pressions toujours changeantes des différences individuelles".

David Strauss, un des pionniers dans le domaine de la collaboration, met en relief un certain nombre d'étapes vers ce qu'il appelle le "leadership visionnaire": 1) le partage d'une vision inspirée; 2) l'accent sur les résultats, le processus et les relations; 3) la recherche de l'engagement maximum approprié; 4) des comportements modèles qui facilite la collaboration; 5) l'identification des chemins d'action; 6) sortir le mieux des autres; et 7) fêter le succès etla réalisation des objectifs.

Un leader de collaboration est donc une personne qui assume le rôle de leader de discussion, pas de l'exécution. C'est une personne qui met de côté toute autorité, expertise, position sociale, ou influence qu'elle détient dans le monde extérieur pour se concentrer sur la discussion et la délibération entre les membres du groupe. En bref, "le rôle de leader est de convenir, énergiser, faciliter, et soutenir le processus".

Les limites de la collaboration

Il y a des circonstances où la collaboration n'est pas nécessairement le moyen le mieux indiqué. Pour décider s'il est approprié ou non d'initier une démarche de collaboration, il est nécessaire que tyoutes les parties comprennent les limites du processus:

  • La collaboration est un processus réputé pour le temps qu'il consume et n'est donc pas approprié lorsque les problèmes requièrent une action rapide et décisive.
  • Les inégalités de pouvoir entre les parties peuvent faire dérailler le processus.
  • Les règles du consensus et de la prise de décision en commun exigent parfois que le bien commun ait préséance sur les intérêts de quelques-uns.
  • La collaboration fonctionne mieux en petits groupes et éclate souvent quand les groupes sont trop nombreux.
  • La collaboration est sans signification sans le pouvoir de mettre en pratique les décisions finales.

La littérature est pleine d'exemples de collaborations mal exécutées qui n'ont pas réussi à atteindre des résultats significatifs, qui sont tombées à court de fonds, qui n'ont pas suscité suffisamment d'intérêt ou de support de la part des leaders de la communauté, ou qui ont piétiné à cause de différences irréconciliables entre les parties concernées. Comme le note Barbara Gray, "Plusieurs efforts bien intentionnés pour impliquer le public dans les décisions gouvernementales, par exemple, ne sont que des exercices de frustration et exacerbent les tensions plutôt que d'améliorer la situation parce qu'on n'a pas prêté suffisamment attention au processus de gestion des différences".

Quelques-unes des circonstances où il est préférable de ne pas fonctionner par collaboration incluent: 1) quand une des partie a un pouvoir démesuré d'influencer le résultat final; 2) quand le conflit est enraciné dans des divergences idéologiques profondes; 3) quand le pouvoir est inégalement réparti; 4) quand des problèmes de nature ("constitutional issues") sont impliqués ou qu'on recherche d'abord des précédents légaux; et quand un président légitime ne peut être trouvé.

Construire des communautés de collaboration

Dans "Bowling Alone: America's Declining Social Capital", un des textes les plus souvent cités de mémoire récente, Robert Putnam observe que le membership dans les associations -- des syndicats et des groupes féministes aux ligues sportives et aux associations parents-professeurs -- a connu un déclin constant aux Etats-Unis au cours de la ou des deux dernières décennies. Cette tendance , dit-il, est spécialement troublante à la lumière des observations de Tocqueville au 19e siècle au sujet de la grande propension des américains à participer à des associations. La tendance est aussi dérangeante sur les plans économiques et politiques: non seulement les réseaux de relations de confiance facilitent la croissance et le développement de l'économie d'une région donnée, mais ils permettent aussi aux problèmes d'être discutés plus rationnellement qu'il n'est possible de le faire quand la politique est menée principalement par le biais d'intermédiaires globaux et impersonnels comme le membership dans des organisations nationales et les mass media.

Putnam utilise le terme de "capital social" pour décrire ces réseaux et ces normes de confiance et de réciprocité qui accroisse la participation civique. Une des questions les plus pressantes pour le futur, prétend-il, est de savoir comment renverser cette tendance au déclin du capital social aux Etats-Unis et de rétablir l'engagement civique et la confiance . La valeur du concept de capital social de Putnam réside dans le fait qu'il attire l'attention sur le rôle essentiel de relations sociales fortes parmi les citoyens. Ces relations constituent la base de tout effort collectif organisé, incluant les entreprises de collaboration de toute sorte.

Comme Putnam et d'autres le souligne, construire des communautés fondées sur la collaboration doit commencer par accro tre le capital social. En pratique, cela peut signifier de renforcer ce que Ray Oldenburg, dans The Great Good Place, appelle les "lieux tiers" -- les lieux centraux de la vie publique informelle comme les tavernes, les librairies, les cafés et les centres communautaires qui procurent un forum "relaxe" où les citoyens peuvent interagir et discuter des problèmes d'intérêt commun. En fournissant des lieux favorables à la formation de relations sociales basées sur la réciprocité et la confiance, les communautés peuvent créer une infrastructure qui se prête à la collaboration.

Scott Fosler et Renee Berger, dans leur étude sur les partenariats public-privé, notent queles fondements civiques jouent un rôle critique dans le développement des partenariats et des collaborations. Par fondements civiques, ils entendent:

  • Une culture civique positive qui encourage une participation des citoyens enracinée dans des préoccupations concrètes pour la communauté dans son ensemble;
  • Une vision réaliste et communément acceptée de la communauté qui prend en considération les forces et les faiblesses dans l'identification de ce que la communauté peut et doit devenir.
  • Des organisations civiques constructives qui diluent les intérêts particuliers de leurs membres dans les intérêts plus large de la communauté et qui traduisent cet intérêt dualiste en action effective.
  • Un réseau au sein des groupes clés qui encourage la communication entre les leaders de chaque segment important de la communauté et qui facilite la médiation des différences entre les intérêts qui s'affrontent.
  • Une tendance à nourrir les entrepreneurs civiques -- soit les leaders dont la compétence, l'imagination et l'énergie sont dirigées vers des entreprises qui bénéficient à toute la communauté qu'ils soient du secteur public, du secteur privé ou des deux.
  • Une continuité dans les Politiques (ici au sens de policy), incluant la capacité de s'adapter aux changements de circonstances, ce qui minimise l'incertitude et renforce la confiance chez les individus et dans les entreprises collectives.

Créer un environnement qui conduit à la collaboration peut aussi inclure la restructuration des liens traditionnels citoyens-gouvernement. Une des façons de se faire est de développer des relations de travail entre les citoyens et les officiers gouvernementaux qui soient mutuellement avantageuses. Harry Boyte raconte l'histoire des leaders de BUILD, une organisation communautaire locale à Baltimore, qui rencontraient pour la première fois le sénateur Paul Sarbanes. Comme le groupe entrait dans son bureau, le sénateur souria et leur demanda ce qu'il pouvait faire pour eux. "Rien" répondirent-ils simplement, "nous sommes ici pour mieux vous connaïtre. Nous voulons savoir pourquoi vous êtes là, quels sont vos intérêts et vos préoccupations. Nous pensons que cela nous aidera à développer une meilleure relation de travail avec le temps".

Une autre étape peut être de créer un forum crédible et ouvert pour permettre à des initiatives de collaboration de se développer. "Dans une période de scepticisme latent et de suspicion au sujet de la politique (ici, comme ailleurs dans le texte, au sens de "politics") et des gouvernements, plusieurs citoyens et groupes civiques ont besoin d'être réassurés surla légitimité de telles relations de travail. Comme Chrislip et Larson le soulignent,

Si cela apparat comme un processus crédible (soit qu'il soit à la fois intègre et qu'il ait une chance honnête de produire des résultats) et un processus ouvert ( c'est-à-dire que le dialogue est la fois honnête et réceptif aux différents points de vue), alors les personnes vont accepter d'investir l'énergie -- l'énorme dépense d'énergie nécessaire pour que la collaboration réussisse. Créer et nourrir un tel processus ouvert et crédible est une chose extraordinairement importante pour ceux qui initient le processus de collaboration s'ils veulent réussir.

Dans Discovering Common Ground, Marvin Weisbord et ses collègues offrent un ensemble de critères soigneusement détaillés pour déterminer si l'on se dirige vers une communauté de collaboration. Ces critères incluent les huit étapes suivantes: 1) impliquer les leaders de la communauté d'un horizon élargi de "secteurs fonctionnels -- sécurité publique, loisirs, services sociaux, mass media, art et culture, politique, affaires, et communautés religieuses; 2) recruter, motiver et mobiliser un groupe diversifié de personnes, incluant des jeunes, des gens d'age moyen, de personnes agées, de minorités et de personnes handicapées; 3) "développer de nouvelles façons d'inclure les segments les plus polarisés, les moins confiants de la communauté"; 4) démontrer la valeur et l'importance des différences de traditions, d'idées, de croyances, de besoins et d'attentes comme une ressource; 5) encourager l'entrepreneurship civique -- c'est-à-direles habiletés requises pour développer les réseaux de collaboration et supporter leur fonctionnement efficace; 6) accroitre la conscience, la sensibilité et les habiletés des professionnels, des volontaires, des leaders et des membres afin de leur permettre d'amener avec eux d'autres membres de la communauté; 7) développer des procédures pour relier entre eux les initiateurs ad hoc et les groupes au sein des structures existantes dans la communauté; et 8) développer des stratégies de suivi efficaces quant aux buts , aux intentions, et aux plans discutés au cours des étapes initiales de la collaboration.

Construire des communautés de collaboration inclut donc une vaste gamme d'activités, à partir du renforcement du capital social et de créer des espaces de liberté pour les citoyens pour qu'ils puissent se venir ensemble naturellement, et pour permettre aux groupes, aux organisations et aux citoyens de se rassembler pour des dialogues constructifs.

Comme David Mathews l'a déjà dit, "tous les problèmes politiques fondamentaux sont des problèmes de relations; en conséquence, toutes les solutions de fond doivent nécessairement entraïner des changements de fond dans les relations". La promesse de la collaboration n'est pas seulement qu'elle nous aide à redéfinir nos relations les uns avec les autres, mais qu'elle nous aide à créer, selon les mots de Martin Weisbord, "une relation conjointe ou commune avec le vaste monde" ("a joint relationship to the wider world").

Le Pew Partnership for Civic Change est un programme fondé par le Pew Charitables Trusts qui cherche à trouver des solutions aux problèmes des villes américaines de petite taille. Le projet et ses rapports d'activité sont centrés sur les questions de collaboration entre le secteur public, le secteur privé et le secteur à but non-lucratif dans les communautés. Ils élaborent des profils urbains dans le contexte de la mise en place de stratégies de changement systémiques et suggèrent de nouveaux modèles pour renforcer les communautés.